Upsilon ?

Upsilon Upsilon, c'est l'Université Populaire de Sécurité Informatique Libre et Ouverte. Notre objectif est de remettre en cause les pratiques du monde académique et de développer les échanges entre universitaires, associations et militant·es du libre autour de la sécurité émancipatrice (c'est-à-dire au service des personnes, à l'opposé d'une sécurité asservissante).

L'objectif d'Upsilon est de fédérer un collectif plutôt que de se limiter à une animation périodique. Nous nous réunissons en ligne sur ce framateam.

Une journée de constitution a eu lieu le 29 mars 2019 à l'Université Paris 8, elle a rassemblé à la fois des participant·es du monde académique, du libre, et de l'éducation populaire. Elle a permis de déterminer un certains nombres d'actions à accomplir dans le cadre d'Upsilon, qui se définit dès lors comme un « laboratoire autonome pluridisciplinaire hors-les-murs ayant pour but le développement de la sécurité informatique émancipatrice ».

→ Le compte-rendu de la journée de constitution du 29 mars est disponible ici.

L'appel d'Upsilon

Les enseignant·es-chercheur·es et chercheur·es (et plus globalement les fonctionnaires et les contractuel·les de l'état) sont au service de la société. Comme l'indique son nom, le cœur de notre métier est double : d'un côté, la création de savoirs et de savoir-faire, et de l'autre, leur transfert vers la société. Ces deux aspects du métier d'universitaire sont difficilement dissociables, mais c'est particulièrement par le second que passe notre mise au service de la société. Aujourd'hui, en informatique du moins, ce transfert se traduit sous trois formes principales : l'enseignement, la publication d'articles de recherche, et les partenariats commerciaux (souvent appelés "transferts industriels" ou encore "valorisation"). Sans vouloir nier l'importance ou l'utilité des deux dernières formes (publications et partenariats commerciaux), nous nous interrogeons sur la pertinence, du point de vue du service à la société, de leur hégémonie dans la pratique.

Les partenariats commerciaux sont pensés comme une délégation de service : les chercheur·es travaillent à la création, puis la diffusion des innovations produites par la recherche est confiée à un partenaire industriel. La nature même d'un partenaire industriel fait que le plus souvent cette diffusion a pour objectif une valorisation marchande. Pourtant, il nous paraît clair que certains objectifs de service à la société ne peuvent pas dépendre d'une rentabilité financière et ne sont donc pas adaptés à la commercialisation directe ou à travers un partenariat industriel dont ce serait l'objectif.

En effet, les contraintes attachées à la marchandisation nous semblent être au cœur de ce qui distingue une technologie émancipatrice d'une technologie asservissante. Ceci nous semble particulièrement vrai en informatique, où la marchandisation d'une technologie nécessite de rendre dépendant·es des utilisateurs et utilisatrices de logiciels propriétaires et/ou de plateformes centralisées. À l'opposé, les logiciels libres, leurs communautés, et les associations qui les portent sont des exemples vivants de services non-marchands reposant souvent sur un modèle de commun. Les communs présentent un cadre dans lequel des services à la société existent sans reposer sur des intérêts privés, ce qui permet le développement de technologies émancipatrices, c'est-à-dire au service des personnes. Dans notre cadre plus spécifique de la sécurité informatique, nous opposons cela à la sécurité asservissante, celle qu'offrent les grands groupes industriels du numérique, et qui favorise le développement d'une société sécuritaire de surveillance plutôt que l'émergence d'une société libre, protectrice des personnes et de leur vie privée. De plus, les logiciels libres existants ou encore à développer nécessitent autant, si ce n'est plus que les applications industrielles, les connaissances et techniques les plus avancées en matière de sécurité, cryptographie, décentralisation, etc. Ils sont donc un terrain naturel d'application et d'expérimentation de l'état de l'art de la recherche universitaire, tout en étant compatible avec les objectifs de service direct à la société.
Le logiciel libre est à la fois un vecteur de création et un support de transfert, il permet le développement et la diffusion de technologies émancipatrices.

Il nous paraît donc indispensable, en tant que fonctionnaires et plus particulièrement en tant qu'enseignant·es-chercheur·es en informatique spécialisé·es dans la sécurité, de participer pleinement à l'effort collectif de conception, d'élaboration, et de diffusion d'outils libres permettant l'émancipation des individus et la protection de leur vie privée, y compris au détriment de nos activités plus traditionnelles.

Les technologies numériques étant omniprésentes, elles concernent tout le monde et pas seulement les personnes qui savent déjà profiter des libertés offertes par les logiciels libres. L'utilisation éclairée (c'est-à-dire émancipatrice et non asservissante) des technologies nécessite, presque autant que leur conception, de les comprendre. Cela nous amène à réfléchir également à l'éducation populaire, c'est-à-dire à l'accessibilité des savoirs et des outils informatiques bien au-delà de notre communauté scientifique touchée par les publications académiques. En effet, les articles de recherche sont en vérité essentiellement des outils de communication intra-communautaire participant plus à l'aspect création qu'à l'aspect transfert du métier d'universitaire.

Bien sûr, en tant qu'enseignant·es-chercheur·es, notre première mission d'enseignement est envers nos étudiant·es de licence, master, et doctorat. En informatique, nous formons aujourd'hui les technicien·nes, ingénieur·es, et chercheur·es du numérique de demain. L'enseignement à nos étudiant·es est donc une des principales formes de transfert de savoirs et de savoir-faire vers la société. Il nous paraît donc également indispensable de mener une réflexion sur l'aspect émancipateur de nos formations. Par cela nous entendons réfléchir sur les moyens d'intégrer aux cursus d'informatique la transmission du recul historique, politique, et social nécessaire à la formation d'un esprit critique permettant aux étudiant·es de s'équiper pour les décisions qu'illes auront à prendre lorsqu'illes seront responsables du développement de nouvelles technologies.

Octobre 2018,
François Lesueur et Pablo Rauzy.